Les pages d'histoire

du Trimestre

 

 

Il y a 60 ans,

Le silence mosellan

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Le 10 juin 1944, à Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne), 120 hommes appartenant à la division SS Das Reich massacrent 642 civils, fusillant les hommes dans des granges ou des garages, asphyxiant et mitraillant 246 femmes et 213 enfants dans l’église. Parmi eux, 44 Mosellans expulsés des villages de Charly et de Montoy-Flanville. Lors de sa visite le 10 juin 1947 à Oradour, le président de la République, Vincent Auriol, promet que « justice sera faite ». Après enquête qui débute dès 1945, une liste de 51 Allemands toujours vivants présents à Oradour ce 10 juin 1944 est dressée.

Mais, en zones britannique et soviétique, les participants au massacre, et notamment le général Lammerding, commandant de la division Das Reich, ne sont pas livrés à la justice française. Parmi les participants au massacre, des Alsaciens, incorporés de force sauf un.

Aussi, pour pouvoir juger des mineurs à l’époque des faits contraints de servir une armée ennemie, ce que la législation française ne permettait pas, une loi dite de la responsabilité collective votée le 15 septembre 1948 prévoit que « lorsqu’un crime de guerre est imputable à l’action collective…, tous les individus à cette formation - criminelle - peuvent être considérés comme coauteurs, à moins qu’ils n’apportent la preuve de leur incorporation forcée et de leur non-participation au crime. »

 

Amnistie pour les Alsaciens

Il faut encore attendre huit ans après la guerre, le 12 janvier 1953, pour que débute un procès, au tribunal militaire de Bordeaux. 21 inculpés sont présentés ; le plus haut gradé est un sergent. Sur les bancs des accusés, au côté de sept Allemands, des Français d’Alsace, un volontaire et treize incorporés de force. Deux fois plus d’Alsaciens que d’Allemands ! En France, dans la mémoire collective, le procès de Bordeaux reste le procès des Alsaciens ayant participé au massacre d’Oradour.

Après un mois de procédure, de débats houleux à l’Assemblée Nationale, de manifestations de solidarité en Alsace envers ses incorporés, les incorporés de force alsaciens sont finalement condamnés de cinq à douze ans de travaux forcés ou de cinq à huit ans de prison. Quant au seul Alsacien engagé volontaire dans la Waffen-SS, il est condamné à mort pour trahison.

Le procès et le verdict déclenchent de très vives protestations en Alsace qui effraient certains milieux politiques parisiens. Craignant pour l’unité nationale, une proposition d’amnistie à l’Assemblée Nationale est votée le 18 février. L’Alsace est soulagée, le Limousin en colère, l’unité nationale sauvegardée.

Les treize rentrent chez eux. « Redde m’r nem devun » (N’en parlons plus).

 

Silence mosellan

Pendant ce procès, que fait la Moselle ?

On aurait pu s’attendre à une solidarité mémorielle des deux provinces soeurs, à une sympathie de coeur avec les accusés, d’autant que la Moselle a partagé avec l’Alsace cette histoire des Malgré-nous devenue mémoire particulière des territoires annexés. En fait, à aucun moment ne s’est créée une solidarité importante et générale en rapport les attentes alsaciennes. Pendant ce mois, le silence prévaut. Robert Schuman, ministre influent, qui vient de quitter le gouvernement, ne dit mot pendant tout le procès et au-delà.

Un silence hautement symbolique. La presse pourtant engagée reste relativement neutre, se contentant de publier les comptes-rendus du déroulement du procès.

Aucune manifestation. De très rares prises de position, plutôt de solidarité avec les victimes mosellanes.

Même de l’association des Malgré-nous qui affirme toutefois lors d’une réunion le 31 janvier 1953 « sa solidarité avec les camarades alsaciens et n’admet pas que l’on oppose l’attitude des Alsaciens à ceux des Lorrains, l’incorporation étant une et invisible, frappant à un même degré les deux provinces1. ». L’abbé Sutter, ancien de Tambow

1 Le Républicain Lorrain 31 janvier 1953 et Le Figaro 3 février 1953.

explique que « les Malgré-nous ont souffert d’un inexplicable complexe d’infériorité… On s’est tu. » Il exprime tout son désarroi : « Depuis que je sais que les Alsaciens, mes frères de destinée, y ont pris part, j’en souffre bien plus encore – d’avoir été Malgré-nous- et je remercie le ciel de m’avoir protégé de cette grande tentation . »

2 ADM 84J9.

3 CMO, 5FP6 : sténographe des audiences du procès de Bordeaux, déposition de Roger Godfrin.

 

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Les témoins mosellans au procès de Bordeaux : Roger Godfrin, survivant, et l’abbé René Tousch, secouriste. (coll. Ascomémo)

 

Réactions hostiles

Au contraire, les députés mosellans Raymond Mondon, Jules Thiriet, tous deux hors de Moselle pendant la guerre, et Pierre Muller, ce dernier par discipline au parti communiste, votent contre la modification de la loi dite de « responsabilité collective ».

Un autre élu mosellan s’abstient. Le fait d’être incorporé de force déculpabilise désormais le participant au crime.

Deux Mosellans témoignent à charge à Bordeaux. Roger Godfrin, seul enfant rescapé du massacre, explique qu’au cours de sa fuite dans le village, il se cache un moment avec Françoise Bertrand, 14 ans, native de Clouange. Une patrouille, parmi laquelle un Alsacien, les surprend. Roger se sauve. La jeune mosellane et sa tante sont abattues. « Un Français d’Alsace tirant sur une Française de Lorraine ! » clame le président du tribunal. Godfrin intervient une dernière fois sans y être invité : « J’entends dire que les Alsaciens sont moins fautifs que les Allemands… »

Le président du tribunal intervient : « Une appréciation cela regarde le tribunal» et pas les témoins. Et il le congédie fermement3.

L’abbé René Tousch, aujourd’hui 92 ans, qui est parmi les premiers secouristes à entrer dans Oradour, se souvient encore soixante ans après de l’odeur des corps calcinés. A la barre, il présente des photos d’horreur. « Montrez-leur ces photos, qu’ils les regardent bien et qu’ils contemplent l’oeuvre du vaillant régiment Der Führer », ordonne le président.

 

A l’initiative de l’association des insoumis, qui reprochent aux Malgré-Nous d’avoir porté l’uniforme feldgrau contrairement à eux, une manifestation silencieuse en mémoire des victimes mosellanes réunit le 8 mars 1953 plus de 5 000 personnes à Charly devenu depuis 1950 Charly-Oradour.

C’est bien le fait d’avoir été du côté des victimes et non des assassins qui crée cette désolidarisation mémorielle.

Et pourtant, on a longtemps oublié que parmi les victimes se trouvent également des Alsaciens. Et pourtant on a omis de dire que des Malgré-nous mosellans auraient pu se retrouver du côté des criminels car, des Mosellans ont également été incorporés de force dans la Waffen SS, même dans la division Das Reich. Heureusement, il n’en est rien.

(Pour en savoir plus : lire Philippe Wilmouth, « Mémoires parallèles », éditions Domini)

 

  

                            

 

 

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